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Stupendous Adventures

20 mai 2008

Faux Semblants « Ne t'en vas pas au dehors,

Faux Semblants

 

« Ne t'en vas pas au dehors, rentre en toi-même; au cœur de la créature habite la vérité.» Saint Augustin.

 

Boston, le Vendredi 6 janvier 2019

D’un simple geste de la main il referma le véhicule. Avec satisfaction il constata une fois de plus que son Audi RSQ était de loin la plus luxueuse des berlines du garage. La petite voix dans sa tête lui disait que c’était une réflexion inepte, mais il passa outre, son ego l’emportant sur sa conscience. Parvenu dans l’ascenseur il ne put cependant éviter de se regarder en face. La glace parfaitement propre lui renvoyait l’image du cadre sup qu’il affectait d‘être. Costume italien de prix, attaché case, ray bans etc… Mais dans ce reflet il y avait aussi son autre lui, celui pour qui tout ça n’était qu’un déguisement. Celui qui était resté ce gamin à part, qu’on regardait avec méfiance. Son alopécie précoce, son teint ivoirin lui avaient toujours valut des regards en coin, des murmures à son passage. Il pensait s’y être fait, mais là devant le miroir, le mal être restait trop fort.

Huit étages plus haut l’ascenseur stoppa sans un bruit. Machinalement il emprunta le couloir aux lumières tamisés, puis pénétra dans son loft. Signes extérieurs de richesse: baie vitrée, ensemble hi fi dernier cri, cuisine toute équipée…la totale. Là encore un déguisement. La moitié de ces trucs ne lui serviraient jamais mais les acheter l’avait amusé, contenté. Las de sa journée il se changea tout en laissant la télé déballer son lot d’images et d’informations tapageuses.

Baril de brut à 345 dollars, records pour les cotations de la SCORP, incendies non maîtrisés en Californie, deux trois émeutes ou guerres civiles larvées ici ou là, la façon dont tournait le monde. Il aurait pu s’anesthésier les neurones devant je ne sais quel divertissement outrancier, mais l’envie n’y était pas. Une fois quitté le bureau, enlevé le costume, il redevenait peu à peu le bon vieux John Stark. Et ce bon vieux John avait mieux à faire que regarder des chômeurs tenter de décrocher un emploi en se démenant au milieu d’une zone de guerre .

 
Il se posa donc dans son antre; son vrai chez lui, celui qu’il ne montrait pas à ses prétendus amis, collègues de travail qui continuaient de le regarder de travers. Son vrai chez lui, c’était cette pièce, à l’éclairage clignotant des diodes et des écrans. Du sol au plafond il y en avait pour une fortune en matériel informatique de pointe. Pas seulement des équipements pour particuliers, mais des installations que seul un ingénieur de son niveau pouvait dompter. La puissance de calcul rassemblée là aurait suffit à une start up de la Silicon Valley, mais il lui fallait bien ça. Ces filtres pompaient avidement le flux d’information que prodiguait généreusement le net. Tout était passé au crible. Il savait par expérience que pour trouver une information intéressante mieux valait ratisser large. Comme le poster placé en face de lui le lui rappelait tous les jours: « la vérité est ailleurs. »

 
Face à son écran il s’adonnait à sa passion, fouiner, dénicher la petite bête qui allait déranger les grands de ce monde. Depuis plus de quatre ans il leur avait vendu son âme, du moins ses compétences. Il protégeait leur bases de données, rendaient leurs sites inviolables…enfin en théorie. Il n’avait jamais pu faire taire sa conscience, cette envie irrépressible de rester à la marge, de donner des leçons, de pointer les injustices. A vrai dire c’était la seule chose qui l’empêchait de se dégoûter de lui même. Là sur le réseau, à l’abri de son identité électronique, libéré du nom d’une famille qui ne l’avait jamais reconnu, il ne jouait plus.

Sur son forum on débattait ferme de ses scoops. La majorité des visiteurs s’accordaient pour dire qu’il s’agissait au mieux d’habiles théories conspirationnistes et ne le prenaient pas au sérieux. Mais il y avait un petit cercle d’initiés, hackers pour la plupart, qui eux savaient. Enfin du moins ils savaient ce que lui voulait bien qu’ils sachent. L’Inquisiteur malgré sa soif de vérité, appréciait de les laisser mariner dans leur jus. La vérité devait se mériter, ça les rendait accroc et lui aussi. C’était un rituel vaguement sadique dont John raffolait. Jouer au gourou était plus que jouissif.

Néanmoins depuis quelques jours il ne rigolait plus vraiment. Un de ses visiteurs les plus récents laissait de temps à autre quelques messages cinglants qui avaient le don de le faire passer pour un amateur. Nommé Apocalypsos (la Révélation) il avait démonté sans ménagement son dossier Wulf.

 
 Richard ‘Dick’ Wulf était depuis quelques années l’un des politiciens républicains les plus en vue du Massachusetts et l’actuel maire de Boston. Sourire parfait, mâle assurance et discours démago, il avait tout pour séduire les oubliés du système. Self made man, ayant fait fortune dans l‘industrie pharmaceutique, il avait dit on surmonté un terrible cancer par sa foi ardente. Pour Stark ce tableau flatteur cachait forcément quelque chose. La réussite de Wulf que ce soit en politique ou en affaires avait été trop soudaine pour être le seul fruit de son talent. Alors quand son principal concurrent aux municipales se retrouva diffamé dans les tabloïds, l’Inquisiteur vit là le résultat d’une sombre machination. Le très respectable Dave Ingalls démocrate bon teint, fut mêlé du jour au lendemain à une sordide affaire de meurtre. Son numéro de téléphone et sa photo figuraient en bonne place dans le carnet d’adresse d’une strip-teaseuse fraîchement décédée. Selon ses proches la jeune fille, enceinte d’Ingalls, aurait été victime des pressions de son amant. Poussée par ce dernier à avorter, l’opération lui aurait été fatale. Évidemment rien ne pouvait le prouver, d’autant plus que le responsable clandestin de l’avortement restait introuvable).

 

Pour John il était clair que les seules preuves matérielles de tout cela, numéro de téléphone et photo, ne prouvaient absolument rien. Mieux encore elles étaient probablement le fait de Wulf et du responsable de son service d‘ordre: Mitchell… N’était il pas un ancien de la criminelle dont la démission suspecte avait alimenté des rumeurs de connexion avec le milieu? L’ambitieux politicien républicain avait simplement plombé les chances d’un adversaire en tête des sondages, en recourant aux talents de cet ex ripoux. Et l’Inquisiteur de reprendre sur son site toutes les pièces à charge dans le dossier Mitchell: ses amitiés dans le monde de la nuit, sa passion pour la bouteille, son loft de 200 mètres carrés en centre ville etc… Tout cela mis bout à bout représentait un imparable exemple de corruption politique…jusqu’à ce que ce foutu Apocalypsos remette tout en question.

Devant son écran Stark fulminait, son visiteur était particulièrement bien renseigné, à un point que cela en était humiliant.

 «  Mais d’où tu sors ça bordel? »

C’était écrit en toutes lettres sur le forum, un long message clair, précis, synthétique, presque un rapport de police. La vie privée d’Ingalls y était contée avec force détails. Son mariage partait à vau l’eau, ce qui expliquait pourquoi sa femme restait à l‘écart de sa campagne. Le politicien avait toujours eu un faible pour les jeunes beautés faciles. Alors qu’il n’était qu’un procureur, une call girl avait entamé une procédure à son encontre pour qu’il soit forcé de reconnaître l’enfant qu’il lui aurait laissé. Au final il s’en était tiré par quelques pressions, un gros chèque et un accord à l’amiable. Le tout avait été ensuite gentiment étouffé. Le procureur Ingalls s’étant en effet montré particulièrement clément avec un délinquant récidiviste : le fils du rédacteur en chef du Boston Times. Le plus fort dans tout ça c’est qu’Apocalypsos fournissait des preuves de ce qu’il avançait. Les liens hyper texte de son message renvoyait à toute une série de documents officiels: minutes de l’accord passé entre les avocats d’Ingalls et celui de la call girl, conclusions du procès du fils du redac chef du Times, divers compte rendus d’enquêtes etc… Si certains de ces documents restaient accessibles à tout citoyen un tant soit peu informé, d’autres ne pouvaient avoir été communiqués qu’à des initiés. S’il s’agissait de faux, alors le faussaire était tout bonnement génial.

«  Mais putain qui es tu ? »

D’ordinaire l’utilisation de pseudos sur le net avait toujours amusé Stark, cela donnait une petite part de mystère et de surprise aux échanges, mais là il aurait donné cher pour savoir qui se cachait derrière cet Apocalypsos. Agacé il coupa la techno tonitruante qui l’accompagnait d’habitude dans ses pérégrinations virtuelles. Le profil du mystérieux informateur ne recelait rien d’exploitable. A l’image de son avatar, il s’agissait d’une silhouette ornée d’un joli point d’interrogation. Aucune précision sur son sexe, son âge, aucune adresse de messagerie, rien, que dalle. Dans le milieu des hackers, ce type était inconnu. De mémoire de cyberactiviste on en avait jamais entendu parler. L’Inquisiteur ajouta alors le mystérieux pseudo à ses critères de recherche. La mémoire humaine avait ses limites, mais le réseau lui n’oubliait rien. Si jamais ce lascar s’était signalé quelque part sous le même nom, ses bécanes le lui diraient. Elles eurent beau ronronner gémir et émettre tous ces bruits singuliers qu’il goûtait comme du Mozart rien n’y fit. Deux heures de recherche et rien! Le mystère restait entier.

apo


Les yeux rougis, vaguement saoulé par la lumière des écrans, John se laissa aller sur sa chaise de bureau, le regard perdu dans le vague. Il détestait laisser des questions sans réponses.

«  Je t’aurais, je t’aurais, on me la fait pas… »

 Du coin de l’œil, il vit la fenêtre de la messagerie instantanée de l’Inquisiteur s’ouvrir. Dans une police démodée ces quelques mots:

Apocalypsos: « Toc toc… »

Stark faillit en tomber de sa chaise, décidément quand on parle du loup… Avec un sourire mauvais il se pencha sur l’écran.

The Inquisitor: « Tiens, tiens voilà notre gorge profonde virtuelle. Ravi de faire ta connaissance. »

Apocalypsos: « De même mister Stark. »

John laissa échapper un hoquet de surprise. N’en croyant pas ses yeux il resta un temps interdit. Son cœur battait la chamade, la température semblant avoir monté de vingt degrés d’un coup. « Mister Stark, mais comment tu connais mon nom? ». Bien évidemment il avait tout fait pour conserver l’anonymat de l’Inquisiteur. Si jamais ses patrons avait su à quoi il s’amusait avec le salaire qu‘ils lui versaient, il aurait été viré séance tenante, avec une convocation au tribunal en prime. Les hackers étaient généralement attachés à l’inviolabilité de leur pseudo et Stark n’échappait pas à la règle. Choqué, estomaqué il avait à peine réalisé dans quel merdier il se trouvait que l’autre revenait à la charge.

Apocalypsos: « Vous êtes bien silencieux, mister Stark. Vous aurais je troublé?»

John laissa tomber le masque du cyberactiviste sarcastique et sûr de lui, l’heure était à la franchise.

The Inquisitor: « Troublé? Tu rigoles ou quoi, comment tu sais qui je suis? »

Apocalypsos: « Oublions le comment, ce qui importe c‘est le pourquoi, vous devriez le savoir.»

Échec et mat, voilà que ce salopard lui donnait des leçons de métaphysique…

The Inquisitor: « Ok, alors pourquoi? »

Apocalypsos: « Vous êtes un être singulier mister Stark , et les êtres tels que vous m‘intéressent.»

The Inquisitor: « Parce que vous êtes payé pour me vendre c’est ça? »

Si les caractères de la réponse auraient pu rire ils se seraient franchement bidonné.

Apocalypsos: « Vous n’y êtes absolument pas, votre méfiance est parfaitement irrationnelle. Si j’avais voulu vous vendre, les autorités seraient déjà dans votre salon… »

Stark jeta un regard inquiet derrière lui, sondant le silence de son appartement. Ce type lui faisait perdre la boule…

The Inquisitor: « Vous vous voulez juste me faire dire ce que je sais ou un truc du genre… »

Apocalypsos: « Je sais déjà ce qu’il y à savoir sur vous »

Là c’était le bouquet, ça en devenait véritablement flippant. John n’était même plus certain qu’avec un mariole de ce calibre l’image trafiquée que renvoyait de lui sa web cam fusse sûre...

The Inquisitor: « Ah ouais c‘est à dire?»

Apocalypsos: « Tout. Une preuve? Votre mère est morte le 2 décembre 99 à Portland d’un accident de voiture. Les analyses post mortem ont rapporté que son sang recelait un taux d’alcoolémie largement supérieur à la limite légale. Détail qui je crois ne vous fut pas communiqué par égard pour votre jeune âge. Pourtant vous ne l’aviez pas revue depuis prés de six mois. J’imagine que ce fut une situation difficile à vivre pour un enfant de 8 ans… »

 C’en était trop, John s’était escrimé à refouler ces souvenirs durant des années. En quelques secondes tout lui revint en mémoire, le ton compatissant du directeur de l’Institut, les paroles faussement réconfortantes du pasteur, et le regard de ses camarades. Les pires moments de sa vie, voilà ce que c’était. Les larmes aux yeux il se laissa aller à une réponse aux accents de capitulation.

The Inquisitor: « Pourquoi vous me faites ça? »

Apocalypsos: « Pour vous aider, vous aider à comprendre à quel point je suis sérieux, à quel point je suis une source d’information fiable…  »

The Inquisitor: « D’accord je vous crois sur parole mais à quoi ça rime? »

Apocalypsos: « Vous poursuivez une quête de vérité qui m‘est sympathique mister Stark. Néanmoins votre passion vous aveugle. Prenons l‘affaire Ingalls. Sûr de vous, tel le chevalier blanc vous chargé le maire d’une manipulation minable, tout ça sur une simple intuition. C’est à la fois indigne de votre talent et dangereux. Et pourtant sur le fond vous n’avez pas tort, Dick Wulf n’est pas homme intègre, loin de là. Vous devriez vous intéresser à ses relations sur le port, notamment chez les dockers du terminal Conley. »

The Inquisitor: « Les dockers du terminal Conley…ils déchargent de la dope? »

Apocalypsos: « Vous n’y êtes pas. Wulf entretient des rapports très étroits avec un certain Frank Knox, chef d’équipe sur le terminal et responsable de la section locale de l’AFL-CIO. Ces rapports et leurs implications dépassent de très loin le cadre professionnel ou politique. En comparaison le dossier Ingalls n’est qu’une minable affaire de jambes en l’air… »

The Inquisitor: « Me voilà bien avancé…Vous avez rien de plus concret ? Pourquoi je devrais m’intéresser à ces conneries ? »

Apocalypsos: « Parce que vous en mourrez d’envie… Sortez de la caverne Mister Stark. »

The Inquisitor: « La caverne ? »

Apocalypsos: « Platon relisez Platon mon cher ami. A bientôt… »

Suivait le message standard de la messagerie indiquant qu’Apocalypsos le bien nommé s’était déconnecté.

« Bordel, c’est quoi cette histoire de fou? »

John avait passé quatre ans de sa vie à flirter avec l’aventure, mais là il avait bien l’impression d‘avoir conclu. Et pour une première fois c’était plutôt violent. Tout homme plus rangé que lui aurait renoncé à revoir une telle maîtresse, mais pas lui. Ce grand vide dans sa vie il allait le combler, quel qu’en soit le prix, fini les faux semblants…

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19 mai 2008

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